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.» Faustino Santos fut le seul à entrevoir une lueur de vérité dans la menace de Pablo Vicario et il lui demanda en plaisantant pourquoi ils voulaient tuer Santiago Nasar alors que tant de gens riches méritaient de mourir avant lui.« Santiago Nasar sait pourquoi », lui répondit Pedro Vicario.Faustino Santos me raconta qu’un doute lui avait trotté dans la cervelle et qu’il l’avait confié à un agent de police venu plus tard acheter une livre de foie pour le petit déjeuner du maire.Le policier, selon l’enquête, s’appelait Leandro Pornoy et mourut l’année suivante, au cours des fêtes patriotiques, d’un coup de corne de taureau dans la veine jugulaire.Il me fut donc impossible de l’interroger, mais Clotilde Armenta me confirma qu’il avait bien été son premier client, alors que les jumeaux Vicario étaient déjà assis chez elle, à attendre leur victime.Clotilde Armenta venait de remplacer son mari au comptoir.C’était leur système habituel.L’établissement vendait du lait à l’aube, des vivres dans la journée, et à partir de six heures du soir se transformait en débit de boissons.Clotilde Armenta ouvrait son négoce à trois heures et demie du matin.Son mari, le brave don Rogelio de la Flor, se chargeait du bistrot jusqu’à l’heure de la fermeture.Mais cette nuit-là , la noce avait laissé tant de clients en goguette qu’il était allé se coucher à plus de trois heures, sans fermer boutique, car Clotilde Armenta s’était levée plus tôt que de coutume, désireuse d’en finir avant l’arrivée de l’évêque.Les frères Vicario se présentèrent à quatre heures dix.On ne fournissait à cette heure que du lait mais Clotilde Armenta accepta de leur vendre une bouteille de rhum, parce qu’elle les aimait bien, et aussi pour les remercier de la belle part de gâteau de mariage qu’ils lui avaient fait parvenir.Ils vidèrent la bouteille en deux longues lampées, mais ne bronchèrent pas.« Ils étaient complètement éteints, me dit Clotilde Armenta.Et même avec de l’alcool à brûler on n’aurait pu les secouer.» Puis ils ôtèrent leur veste qu’ils pendirent avec soin au dossier de leur chaise et commandèrent une autre bouteille.La sueur séchée avait jauni leur chemise et une barbe de la veille leur donnait une allure farouche.Ils burent la deuxième bouteille plus lentement, assis, les yeux rivés sur le trottoir d’en face, ou plus exactement sur la maison de Plácida Linero dont les fenêtres étaient éteintes.La plus grande, derrière le balcon, était celle de la chambre de Santiago Nasar.Pedro Vicario demanda à Clotilde Armenta si elle avait vu de la lumière à cette fenêtre ; elle lui répondit que non, mais la question excita sa curiosité.« Il lui est arrivé quelque chose ? demanda-t-elle.— Rien, répondit Pedro Vicario.Simplement, nous le cherchons pour le tuer.»La réponse fut si spontanée qu’elle crut d’abord à une plaisanterie.Mais elle remarqua que les jumeaux trimbalaient deux couteaux de boucher enveloppés dans des torchons de cuisine.« Et peut-on savoir pourquoi vous voulez le tuer d’aussi bonne heure ? demanda-t-elle.— Il sait pourquoi », lui répondit Pedro Vicario.Clotilde Armenta les dévisagea gravement : elle les connaissait si bien qu’elle pouvait les distinguer l’un de l’autre, surtout depuis que Pedro Vicario était revenu de l’armée.« Ils avaient l’air de deux enfants », me dit-elle.Une réflexion qui l’effraya, car elle avait toujours pensé que seuls les enfants sont capables de tout.Bref, elle avait à peine fini de préparer ses bidons de lait qu’elle alla réveiller son mari pour lui raconter ce qui se passait dans la boutique.Don Rogelio de la Flor l’écouta à demi endormi.« Ne sois pas idiote, lui dit-il.Ces types-là ne tuent personne, et surtout pas un homme plein de fric.»Quand Clotilde Armenta regagna sa boutique, elle trouva les jumeaux en train de bavarder avec Leandro Pornoy, le policier, venu chercher le lait du maire
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