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.La marquise aggrava de noir pour son fils le deuil de son ancien amant qu’elle avait pris en gris, et mourut peu après.Toussaint, le puîné, revint couvert d’honneurs, et comme il s’agissait d’une victoire, le roi le nomma directeur des Poudres et Salpêtres, et il mena une vie bien remplie qui lui permit d’oublier que l’arbre gigantesque obombrait le château.Partagé entre sa carrière à la cour et son amour du pays, il fit dans les bois entourant Gaussan quelques expériences pyrotechniques où il faillit perdre la vie mais cela ne l’empêcha pas d’épouser une grande héritière des environs, née Françoise de Sabran et de vingt ans sa cadette, à laquelle il fit deux garçons robustes.À la mort du roi Louis XV, Toussaint revint au pays pour, espérait-il, ne plus le quitter.Il en profita, à quarante-huit ans, pour faire à la marquise une dernière fille que sa mère, on ne sut jamais pourquoi, appela Sensitive.Jusqu’à douze ans cette fille demeura au château, partageant les jeux des fermiers que Palamède avait affranchis.Elle devint le bâton de vieillesse de Palamède, lequel ne pouvait plus parler et qu’on promenait en petite voiture.Celui-ci fit comprendre à Sensitive qu’il lui serait agréable, parfois, d’être conduit au pied de son arbre pour pouvoir en caresser l’écorce.Il était veuf désormais et n’avait plus pour le rattacher à la vie que ce chêne qui faisait croire à l’éternité.Quant à l’arbre lui-même, personne ne lui interdisait plus de faire de l’ombre au château.Il avait eu raison de tous ceux qui avaient eu le malheur de lui être contraires.6Quand Sensitive Pons de Gaussan atteignit les rives du lac Léman, prête à passer en Suisse, l’instinct de sa race lui fit arrêter l’équipage.Elle avait quitté Versailles au lendemain du massacre des Suisses aux Tuileries, dans la monstrueuse panique qui avait suivi chez tous les aristocrates qui occupaient encore le palais et ne croyaient toujours pas à la Révolution.Dans un nuage de poussière qui s’abattait sur les boulingrins du parc, les équipages fuyant vers Coblence se bousculaient aux grilles.Les coups de fouet intempestifs, les imprécations et les ordres vains soulignaient cette ignorance des périls, même si se posaient encore entre les palefreniers et les valets des questions de préséance :— Place à monsieur le marquis de Choiseul !— Place à monsieur le duc de Chaulnes !Quand le carrosse de Sensitive put enfin se frayer chemin dans cette débâcle, il était cinq heures du matin et le jour se levait.Elle n’avait que quatre chevaux à sa voiture et des équipages à huit chevaux ne cessaient de sonner du cor et de crier à leurs valets qu’on s’écartât.Le bruit courait parmi les fuyards que le peuple souverain, encore ahuri par sa victoire, s’était allé coucher et que la désorganisation totale était propice à la fuite.Sensitive était arrivée sans encombre jusqu’à Cluny où elle avait un parent dans les environs, descendant d’un corsaire de Louis XIV.C’était un Forbin, qui l’avait jadis tenue sur les fonts baptismaux et qui avait été fort bonhomme jusqu’à ce qu’un procès perdu contre les prémontrés le rendît athée et ennemi du genre humain.Il avait alors fait élever autour de son château délabré une palissade aux barreaux de fer sommés de piques acérées et adornée d’un portail qu’on ouvrait rarement sur lequel, ayant martelé son blason, il avait fait forger cette sentence redoutable qui le faisait tant méditer autrefois quand il lisait Molière :À fuir dans un désert l’approche des humains.Au cor sonnant du maître d’équipage, ce portail rébarbatif ne s’ouvrit pas tout de suite devant Sensitive.Le misanthrope maugréant mit du temps à se montrer.Il n’avait plus de serviteurs, les ayant congédiés car, étant du peuple, ils personnifiaient la Révolution et il ne voulait rien avoir à faire avec elle.Il l’avait publié urbi et orbi et belliqueusement.Il vivait à côté d’une espingole toujours chargée et d’un baril de poudre à canon au milieu de sa chambre à coucher.Moyennant quoi il avait fait savoir que si la canaille l’attaquait, il ne partirait pas seul.De la part de ce réfractaire qui prétendait avoir prédit ce qui devait advenir de la royauté et qui proclamait partout que si la race humaine disparaissait dans sa totalité, y compris lui-même, le monde ne s’en porterait pas plus mal, on savait que ce n’était pas parole en l’air.Néanmoins ce Forbin savait ce qu’il devait à cette parente dans le besoin et dont le nom était plus vieux que le sien sur les états nobiliaires et dans l’ordre du Saint-Esprit.Il la reçut du mieux qu’il put par ces temps de disette et la fournit de ces quatre percherons qui lui parurent plus solides pour faire tant de lieues.Il demanda des nouvelles de Paris et de Versailles.Sensitive ne pouvait lui en offrir que de très mauvaises.À chaque horreur qu’elle lui narrait, le Forbin s’exclamait de satisfaction, tout heureux d’avoir été si bon prophète.Il n’avait pas de préférence, nobles ou roturiers, pour les victimes des événements et il jubilait à l’énoncé des unes et des autres.Mais quand Sensitive lui dit qu’elle avait vu passer devant ses fenêtres la tête de la princesse de Lamballe au bout d’une pique, il fit quand même le geste de porter la main à la sienne pour vérifier qu’elle était toujours là.De Cluny à Annemasse on eût dit que jamais n’avait eu lieu sur ces rivages rien qui pût déranger l’éternité.La vigne prospérait, les rivières s’étalaient paisiblement ; des charollais tout en muscles étaient vautrés dans l’herbe grasse et ruminaient en toute paix.C’était l’image du pays sur des dizaines de lieues.La nuit leur ventre blanc reflétait la lune.Les graves clochers de village en village sonnaient tranquillement les heures et, si l’on passait assez près des fenêtres, on entendait ronfler les bourgeois peu inquiets.Quand l’équipage de Sensitive atteignit les rives du lac de Genève, il y avait un grand moment déjà qu’une calèche légère guettait sous les saules.Une femme petite et boulotte était descendue de la désobligeante qu’elle conduisait seule et en avait éteint les lanternes.En faisant les cent pas anxieusement, perdue dans ses réflexions, elle contemplait Genève au-dessous d’elle.Elle se tenait exactement à l’endroit où le père de Jean-Jacques Rousseau, contraint de quitter la ville, dit à son fils de dix ans : « Jean-Jacques, aime ton pays.»La dame toute seule hochait la tête à ce souvenir si souvent évoqué en lisant le philosophe [ Pobierz całość w formacie PDF ]

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